2009/02/24

Comme des sentiers d’araignée

Quand elle a aperçu le petit trou sur son bas noir, elle a tenté de le dissimiler en soulevant le voile de sa peau et en tirant vers le haut comme pour le déplacer sous la jupe. Elle a cru avoir réussi. C’est en détachant ses mains qu’elle a vu la descente violente de plusieurs mailles sur son pied. Les mailles s’amusaient à dessiner des sentiers d’araignée sur la peau déjà dénudée.
Heureusement que son rendez – vous était avec des gens de l’art. Ils allaient comprendre peut – être. Et pour styliser son bas troué, elle l’a pris encore une fois. Elle a écarté le voile d’un geste décidé et les mailles se sont multipliées atteignant sa botte. Ce trait (sentier d’araignée) sur le bas de fine soie noire était évident. « Tant pis ou tant mieux ! » a – t – elle murmuré. « Cela pourrait être même beau. Tout dépend du point de vue. J’espère que personne ne sera offensé de mon bas insolite. Pourraient – ils l’interpréter comme une œuvre d’art ? On va voir…»

Les chats qui n'ont pas peur du noir

Les chats ont leur vie de nuit.
Par la fenêtre, je vois le premier chat se promenant d’un pas incertain dans la neige au dehors. Je me demande s’il est perdu dans le noir. Cherche- t- il ses humains et leur maison ? Je redescends lâchement le rideau : je ne peux pas aider cet animal errant.
Quelques minutes après, je soulève de nouveau le rideau pour regarder toujours au dehors. Le chat a trouvé un autre chat et même un troisième les rejoint de l’autre bout de la rue.
Alors, les chats ont leur vie de nuit qui leur appartient. Ils ne se perdent pas dans le noir. Dans le noir, ils redeviennent libres. Ils explorent ce qu’ils observent de leurs fenêtres durant la journée. Ces moments sont à eux. Les humains n’ont rien à voir, car ils ne comprendront pas grand-chose.
Je redescends le rideau tranquillement.

Pétale de rose

Un frêle pétale de rose au bord d’un escalier roulant. Les marches grimpent. Les pieds des gens avancent. Mais par un bizarre état des choses, les pas passent à côté du pétale. Les marches ne l’écrasent pas. Il demeure là. Les souliers l’aperçoivent- ils ; l’escalier a – t- il pitié ? N’est – il trop insolent, ce pétale de rose, avec sa fragilité et sa gracieuseté, atterri ainsi, au cœur de la foulée pressée ?
Ou bien, ce n’est ni sa fragilité, ni leur pitié, ni même la grossièreté de quiconque qui est en jeu dans ce tableau. C’est une étrange instantanéité tenant tous vivants et sensibles à cette vie brusque, grossière mais aussi frêle et prévenante.

2009/02/14

Les éclats d'un coeur

Pour la Saint- Valintin, Marthe s’est rappelée d’un collier offert par sa mère. Elle n’avait pas de nouveaux habits ce soir, mais elle gardait précieusement ce bijou et alla le sortir. Le joli pendentif en forme de cœur rayonna sur sa peau blanche. C’était un petit cœur doré : travail minutieux d’un maître orfèvre. Marthe sourit à son reflet dans le miroir. Elle se sentit belle et comblée. Le contact de ce bijou, qui lui était tellement cher, lui donna envie de vivre cette soirée particulière et de joindre vite ses amis. Le petit cœur émit quelques éclats joyeux à son tour. Il répondait avec éclats à chaque caresse de la lumière qui l’atteignait.
Marthe, telle une Cendrillon, se dépêcha de sortir. Attendre l’ascenseur lui sembla trop long. Et elle se précipita à descendre l’escalier à pied. Cela lui faisait bien d’imaginer que chaque éclat du collier était comme un céleste clin d’œil, de sa mère peut – être.
Le taxi l’attendait déjà devant l’immeuble. Et l’écran lumineux de son cellulaire annonça un message attendu toute la journée.

2009/02/13

Les choses immuables

La jeune femme avait perdu son amour : son aimé, son amant. C’était sa décision à lui de partir. Et il était parti quelques jours avant la Saint - Valentin. La vie s’était déchirée. Mais la jeune femme s’efforçait de travailler d’une manière appliquée à son bureau. Les matins, elle coiffait soigneusement ses cheveux et choisissait des habits colorés comme auparavant. Pourtant, elle n’avait plus envie de se maquiller. Et cette jour – là, la dernière journée de sa semaine pénible, elle essayait d'accomplir plusieurs tâches: terminer l’article, réviser un autre texte important, rédiger les courriers. En travaillant, elle réalisait que la course de la vie affluait ; il y avait un tas de choses et d’événements qui étaient permanents. Il fallait les résoudre et s’en occuper à l’instant présent. Le monde, l’existence, les bruits, les reflets de la lumière, les paroles tout autour, tout était comme immuable malgré l’écrasement dans son cœur.
Tentant une réconciliation quelconque, la jeune femme voulait ne pas juger trop celui qui avait pénétré avec rudesse et brusquerie sa vie, et parti après. Au moins, il n’avait pas menti ; il n’avait pas fait semblant. Il était resté juste le temps du désir. Si le désir s’était envolé, personne n’aurait pu l’accuser.
Tout ce qu’elle pouvait faire était de rester concentrée sur son travail jusqu’à la fin de la journée. L’une de ses collègues lui demandait l’adresse de la boutique ouverte récemment et proposant la lingerie la plus insolente dans la ville. Gardait – elle encore l’adresse de cette boutique ? Elle devait vérifier. Elle sourit à sa collègue. Et la dernière demanda : « C’est chaque jour que tu écris avec le même stylo, ma chère ? Il va tellement bien à ton style. Comme s’il t’inspire des idées… »
Elle regarda son stylo noir : un parfait MontBlanc, offert par celui qui n’était plus…Oui, elle avait pris l’habitude d’écrire chaque jour, au moins 10 minutes, avec ce stylo dans son agenda. Elle aimait toucher sa surface polie et lui fier sa pensée. Elle aimait glissait avec lui sur le papier et abandonnait sa main aux mouvements rythmiques de l’écriture. Le stylo et son encre noire, déversée sur la page, lui rappelèrent l’homme déversant l’énormité de sa passion sur son corps frêle.
Oui, il y avait des choses immuables. Apparemment immuables. Et cela, malgré les abandons.

2009/02/10

Savoir porter une jupe

Il y a encore de ces filles impressionnantes. Même au cœur de l’hiver canadien, elles portent des jupes sans collant. Elles portent des jupes et d’épais bas tricotés jusqu’au genoux. En les regardant marchantes, on peut re-imaginer la vie et la force féminine. Car leur allure demeure droite, résolue et charmante. Leur peau est hâlée du froid, mais l’élan dans leurs yeux, flamboyant. Elles ne perdent jamais les chemins entrepris.

2009/02/09

Un violon dans le froid

Ce vieil homme jouait à son violon près de l’entrée du métro.
Malgré l'hiver, il jouait. Une mélodie chancelante s’élevait de ce coin de la rue.
Emmitouflée dans mes habits chauds, je suis y passée. J’ai vu les mains frêles du vieux joueur du violon. Elles étaient adroites, mais rougies du froid.
C’est pour cela que je refuse de croire que…Je refuse de croire que la plupart des musiciens à la rue soient là pour flâner et déranger. Ils sont là, car la misère est entrée dans leur vie. Pourtant, ils résistent. Ils ne veulent pas la laisser jouer, elle, la mélodie ultime…L’air de la musique leur appartiendra jusqu’au dernier souffle.

2009/02/05

Tout ce que tu es...

Je suis ces deux nids, remplis de neige.
Tu es ce moineau, qui y plonge.

Après, ton vol se poursuit jusqu’à la rivière gelée.
Tu te rends sous sa surface glacée.
Tu as ce pouvoir d’atteindre la vie.

Tu es cette plume longue, très douce.
La plume, soufflée par le vent, portée par l’air,
atterrie à l’intérieur d’un tiroir secret.
Le tiroir, c’est moi.
Je t’enferme, toi – plume, en secret.

Tu es une pierre précieuse. Tes éclats sont lilas.
Je suis l’autre pierre. Mes éclats sont vert – émeraude.
Mes couleurs fondent au creux des tiennes.

Je suis le château enchanté, ensorcelé, plongé dans le noir.
Tu es le magicien franchissant mon seuil.
Une fois là,
tout en moi s’illumine.
Le porteur des lueurs, c’est toi.

Nous sommes ces deux traîneaux,
dévalant bravement la neige.

2009/02/04

Le moineau à la terrasse

La tempête amène encore et encore de neige. Les flocons et la poussière blanche s’entassent sur les rebords des fenêtres et sur la terrasse. Et pourtant, il y a là un petit moineau qui atterrit légèrement. Il vient se reposer quelques instants en affrontant courageusement les vents. Après, il remue presque gaiement ses ailes et s’envole dans la brume neigeuse. L’apparition du moineau, un oiseau simple et extraordinaire à la fois, au milieu de la tempête, allègre et soulage non seulement le paysage mais les pensées surtout. Les pensées sont lourdes, car les nouvelles sont graves. La crise de notre réalité s’empire ; sa cruauté est de plus en plus flagrante. Mais le petit moineau, apparu à la terrasse ce triste après – midi, évoque un certain espoir dans la vie ; un certain espoir dans les jours qui suivront…

2009/02/02

Les demeures des humains

Les demeures des humains derrière le rideau des arbres

Les demeures des humains au pied de la colline

Encore du soleil dans la neige


Vos propres chemins



Marcher dans la neige, juste à côté du sentier battu. Marcher littéralement dans la neige: là, où la neige est profonde et épaisse ; là, où personne n’a encore laissé ses empreintes. C’est dans cette profondeur blanche que les risques de tomber sont minimes. Le sentier est bien dessiné, mais sa surface est trop glacée, trop glissante. D’innombrables pas l’ont poli trop lors des traversées. Faites- vous vous-mêmes vos sentiers, pas seulement à cause des précautions, mais pour la joie de tracer vos propres chemins. Bien que la neige soit profonde, elle saura être complice.